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Commençons par la fin : nous sommes en 2006, au moment du dernier US Open d’André Agassi, 36 ans qui termine sa carrière, le corps brisé par trente ans de maltraitance sur les courts de tennis. Le match qui est sur le point d’avoir lieu contre Baghdatis ne pourrait se faire sans la piqûre de cortisone injectée quelques jours plus tôt. Sans ce traitement, le corps du sportif ressemblerait à celui d'un vieillard incapable du moindre mouvement ; et c'est comme ça depuis plusieurs années. Ce dernier est conscient qu’il est plus que temps d'arrêter, mais refuse de prendre sa retraite. Andre ressort de ce match victorieux, mais le dos complètement bloqué : il ne peut plus bouger. Son dernier souvenir, c'est la main que son adversaire lui tend amicalement alors qu’il est allongé sur une table de soin.
1/ LA JEUNESSE DU KID
À sept ans, André déteste le tennis. Son père le pousse à continuer ! Pour ce dernier, il est exclu qu'André abandonne, car il le sait extrêmement doué. Faire progresser son fils, même si cela implique de lui faire du mal physiquement, est une revanche sur sa vie, sur sa carrière de tennisman ratée, sur son travail ingrat dans un casino de Las Vegas. Son but ultime : faire de son dernier le meilleur joueur du monde.

Toute sa vie tourne autour du tennis : choix de la maison en fonction du terrain aménagé en court d'entraînement, fabrication d'un lanceur de balles qu'il programme pour lancer 1 million de balles par an ! Cet entraînement intensif fait peser une pression énorme sur les épaules d’Andre : pas le temps de rêver.
La jeunesse d'Andre est marquée par plusieurs éléments qui ont grandement influencé sa personnalité :
- sa grande complicité avec son frère aîné Philly, malgré la rivalité que leur père entretient délibérément. Philly, qui aurait dû le détester, fait front avec son frère contre ce dernier, en lui donnant des conseils pour éviter la drogue que son père Mike tente de lui faire avaler afin d’améliorer ses performances ;
- son immense responsabilité vis-à-vis du clan Agassi. Toute la famille traverse le sud des États-Unis de long en large pour soutenir le petit prodige dans ses exploits, ce qui signifie aussi que s'il perd, c'est toute la famille qui a perdu son temps et son argent. Le sentiment de culpabilité qui envahit Andre après chaque échec l'oblige à continuer ce sport qu’il considère comme une torture ;
- son séjour à la Bollettieri Academy en Floride, une forme de camp d'entraînement consacré au tennis et dirigé avec une main de fer par Nick Bollettieri. Pour le père d'Andre, c'est la seule façon de devenir numéro un. Le séjour, qui devait durer trois mois, va se prolonger sur plusieurs années, le directeur ayant découvert le potentiel du jeune Agassi. Celui-ci est loin d’être heureux dans cette école où la pression est intolérable. En signe de révolte Andre va profiter d'une sortie en ville pour se faire coiffer à l’iroquoise : sa crête teinte en rose est pour lui un moyen de résister ;
2/ LES DÉBUTS DIFFICILES EN TANT QUE PROFESSIONEL
En 1986, Andre remporte une série de tournois qui le mène aux portes du professionnalisme. Dès lors, il ne peut plus reculer et, poussé par son père, il franchit le cap. À 16 ans, il devient donc joueur professionnel ; il est classé 610e à l'ATP et est sponsorisé par Nike, qui lui offre un contrat de 25 000 dollars par an avec l'équipement. Cet argent est une aubaine pour Andre qui en profite pour engager son frère comme assistant officiel.
En tant que professionnel, Andre participe à plusieurs tournois et en perd quelques-uns, notamment contre McEnroe, qui le félicite pour son jeu et la force de son retour de balle. Pour le jeune tennisman, c'est le début de la notoriété : Philly se trouve submergé par les demandes d'interviews. Toutefois, le premier US Open est une catastrophe et ils commencent à manquer d'argent. Le chèque de Nike n’a pas fait long feu entre les voyages, les hôtels, les salaires de Philly et de Nick, devenu son entraîneur officiel.
Fin 1987, sa victoire au Brésil lui rapporte 90 000 dollars et lui permet d'acheter sa première voiture : une Corvette, son rêve ! Il décide alors de prendre le contrôle de son argent et de ne plus dépendre de son père ; il prend sa vie en main.
1988 est l'année où il développe sa marque de fabrique ; short en jean, cheveux ébouriffés et laqués — il devient chauve —, il fait scandale dans le petit monde du tennis.
Nike traversant une période difficile financièrement, le montant du sponsoring diminue et l’entreprise est remplacée par Donnay, un fabricant de raquettes.
Étant donné qu’Andre déteste jouer avec une Donnay, il est obligé de déguiser sa raquette Prince en Donnay pour pouvoir toucher l'argent.
1989 marque son premier match contre Pete Sampras, qui deviendra son principal adversaire et ami jusqu'à la fin de sa carrière.
3/ LE DÉBUT DU SUCCÈS MAIS…
« Tout est dans l’image »
C'est le slogan de Canon énoncé par Andre dans leur publicité en 1989. Ces quelques mots, qui lui paraissent d’abord anodins, lui portent préjudice pendant des années : à chacune de ses défaites, les journalistes ressortent cette phrase l’accusant de privilégier la forme au fond, ce qui mine le moral du tennisman.
Par esprit de provocation, en 1990 Agassi participe à Roland Garros habillé en rose ! Une fantaisie qu’on lui accorde car il est numéro 7 du classement ATP. Il rencontre cependant un problème qui pourrait bien entacher son image ; étant devenu chauve, il porte une perruque qui s'est abîmée juste avant la finale et il n'a qu'une peur, la perdre une fois sur le terrain. Sa crainte le paralyse et lui fait perdre contre Gomez, un joueur âgé qu'il aurait pourtant dû battre. Son moral est au plus bas.
Roland Garros 1991 présente encore une défaite et le tennisman est découragé : à quoi bon continuer ? Sans l’aide de Nick, la carrière d'Andre se serait arrêtée là.
Il participe donc à la Coupe Davis 1992 et la remporte, bien qu'il soit complètement imbibé d'alcool et obligé de cacher ses yeux rouges sous des lunettes de soleil Oakley.
Enfin, il gagne Wimbledon, auquel il participe à contre-cœur, mal à l'aise sur le gazon : il y bat enfin Pete Sampras. Au cours de la cérémonie qui suit le tournoi, Andre est présenté à Steffi Graf, dont il tombe éperdument amoureux.
4/ TOUT EST DANS LA VICTOIRE
La vie d’Andre change du tout au tout après sa victoire : les journalistes ont oublié le “tout est dans l'image”, pour ne garder que l'esprit combatif d'Andre. Il découvre la notoriété, les soirées VIP et les grosses cylindrés. Il lui faut oublier Steffi Graff, qui de toute façon n’est pas célibataire.
En 1993, sa compagne de l’époque Wendy le quitte et une tendinite au bras droit empêche Andre de jouer. C’est une période difficile qui commence : alcool, cigarette, soirées, etc. Son équipe veille au grain et tente de le remettre sur pied, mais en vain et Wimbledon est un nouvel échec contre Pete Sampras. En plus, sa tendinite s’est aggravée et il faut opérer. Andre est persuadé que c'est la fin de sa carrière, d'autant que Nick décide de l'abandonner en lui réclamant les milliers de dollars qu'il aurait gagnés s'il n'avait pas tout arrêté pour se consacrer à lui.
L’opération réussit et pendant sa convalescence, son équipe le protège. Pour l’aider, on lui présente une actrice qui a eu la même enfance que la sienne — poussée par sa mère à faire du cinéma contre son gré. Lorsqu’Andre rencontre Brooke Shields, l'attirance est tout de suite réciproque.
Le changement semble régir la vie d'Andre — de petite amie, d’équipe et d’esprit. Autre changement : le look. Fini la perruque pour masquer la calvitie partielle, le tennisman décide de se raser complètement le crâne. Le résultat est immédiat : victoire à l'Open d'Australie face à... Pete Sampras ! Brad est fier de son poulain et veut le hisser au rang de numéro un mondial. Un objectif qu’il atteint début 1995.
5/ 1996 : L'ANNÉE DE LA MATURITÉ
1996 est une année particulière : Andre commence à réfléchir à son avenir, toujours avec le souhait d'arrêter le tennis. Mais que faire d'autre ? Il se décide à demander Brooke en mariage pour se rassurer et envisage de construire une famille.
Le mariage du tennisman et de l’actrice a lieu en avril 1997 au milieu d'une foule de paparazzi tellement dense que les jeunes mariés créent un subterfuge : un autre couple leur ressemblant sort de l'église avant eux pour tromper les journalistes.
Pendant l'été Brooke est prise par des tournages et Andre se retrouve seul et obligé de cesser les matchs à cause d'une douleur au poignet. Il se laisse aller à la drogue, qui semble lui redonner de la force, mais le laissera anéanti. Il tente aussi de s'investir auprès de ses proches : le bébé d'un ami a besoin de soins très spéciaux dont il finance le traitement ; un ami a des difficultés pour payer les études de ses fils alors il lui offre 10 000 $. C'est à cette époque que l'idée de créer une fondation éducative naît.
Peu de temps après, un contrecoup va bouleverser sa vie. L 'Agence contre le dopage le somme d'expliquer pourquoi il a été contrôlé positif à la drogue ; il va devoir trouver des excuses mais, en attendant, plus de tournois. Cette pause lui facilite la reprise en main grâce à un entraînement intensif, ponctué de matchs contre des amateurs. Andre se rend compte qu'il est tombé bien bas et cela le motive à rebondir. Il a aussi plus de temps pour mettre sur pied sa fondation éducative pour les enfants, en y joignant un refuge pour les enfants maltraités.
6/ 1997: LE CHOC DE LA RENCONTRE AVEC MANDELA
Fin 1997, Andre rencontre Nelson Mandela qu'il admire depuis longtemps.
Cette rencontre est décisive et Andre est conforté dans son projet éducatif. Pour cet homme d’État, l'ignorance est la cause de toutes les misères dans ce monde : le seul remède est l'éducation. Le tennisman réalise qu'il a raté des opportunités en quittant l'école si tôt ; il est bien décidé à se rattraper en allant au bout de sa fondation Agassi Academy en donnant leur chance aux enfants qui manquent de tout.
Andre décide que l'année 1998 sera son année et qu'il va redevenir numéro un. L'ATP passe l'éponge sur l'affaire de drogue et une nouvelle vie peut commencer. Dès lors, rien ne semble pouvoir l'arrêter. Il ne joue plus pour lui mais pour faire avancer sa fondation, l’Andre Agassi College Preparatory Academy.
Il tente par ailleurs de renouer les liens avec Brooke ; ils passent quelques jours sur l'île de Richard Branson, mais cette escale au paradis ne va pas réparer les failles dans leur mariage. Leurs vies sont trop différentes et Brooke est mondaine, contrairement à Andre. Pour lui, le divorce est pire qu'une défaite sur le court, mais il se sent libéré d'un fardeau. Heureusement, son équipe est là pour le soutenir et le persuader que malgré son échec matrimonial, il peut encore réussir beaucoup de choses.
7/ LA RENAISSANCE GRÂCE À STEFFI GRAF
Brad, à qui Andre avait confié il y a longtemps son penchant pour Steffi Graf, organise, avec l'entraîneur de la championne, un match amical. Pour ce match, Andre est encore plus stressé que pour n'importe quel grand Chelem. Steffi est charmante, mais fait savoir à Andre que son petit-ami est avec elle et qu'il n'y a rien à attendre de cette rencontre.
Le tournoi de Roland-Garros 1999 est épique. Lors du premier match, Andre s'aperçoit qu'il a oublié ses sous-vêtements et décide de jouer sans slip et gagne le match ! Il se passera de cet accessoire dorénavant. Il enchaîne une série de victoires et gagne contre Medvedev en finale, soutenu par le public parisien qui jusqu'alors l'avait boudé.
Andre et Steffi se rencontrent de nouveau à Wimbledon, où elle est plus avenante, mais continue à repousser ses avances. Ils rencontrent tous deux un échec et se croisent à nouveau à Los Angeles, où Steffi accepte un dîner malgré une peur panique des journalistes. Ils restent en contact par téléphone, lui au Canada, elle en Allemagne, où elle annonce qu'elle prend sa retraite.
8/ UNE FIN DE CARRIÈRE AU BORD DE L'ÉPUISEMENT
L'US Open de 1999 est un succès pour Andre qui remporte son cinquième grand Chelem sous les yeux de Steffi. Les victoires s'enchaînent et il redevient numéro un mondial.
Peu après, la situation avec Steffi s'officialise : rencontre entre les parents au cours de laquelle les deux pères en viennent presque aux mains, car ils ne se comprennent pas, l'un parlant allemand, l'autre assyrien. Le couple s'installe à Los Angeles et attend rapidement un bébé.
En 2001 pour Andre, le tennis passe en second. La priorité est la naissance de leur fils et l'ouverture de son école primaire, avant d'envisager un lycée. Il réfléchit au paradoxe de sa vie : comment un recalé du système scolaire peut-il s'enthousiasmer de la construction de son école ? Quelques jours avant l’accouchement, le mariage entre les deux sportifs comble de joie le père d'Andre : “il épouse la meilleure joueuse de tous les temps.” Dorénavant, le petit Jaden et sa mère accompagnent Andre dans les tournois à travers le monde. Sa rencontre avec le très prometteur Federer continue à le motiver.
En 2002, la presse commence à parler de retraite, mais un nouvel entraîneur, Darren, pousse Andre de plus en plus loin. Même son grand rival et ami, Pete Sampras, prépare son départ. Andre, s’il continue à se battre pour Steffi, Jaden et Jaz, sa fille qui naît en 2003, son corps ne suit plus. Il doit recourir de plus en plus souvent à la Cortisone et se ménager au maximum en dehors des matchs.
La défaite contre Federer à l'US Open confirme à Andre qu’il ne peut plus suivre le rythme des jeunes prodiges. Sans médication, il serait incapable de se tenir sur le court. Son aventure doit prendre fin, ce qui arrive lors de l'US Open de 2006 contre Baghdatis.
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